Le Portugal, Un Succès Dans Le Combat Contre La Pandemie De Covid-19?

À ce jour, le Portugal est abondamment présenté comme un succès dans le combat contre la pandémie de Covid-19. Je ne suis pas là pour contester cette idée mais plutôt pour expliquer, d’une part, ce qui a été fait et, d’autre part, quel est notre sentiment par rapport au rôle joué par la communauté internationale et l’Union européenne.
Segunda-feira, 25 Maio 2020

À ce jour, le Portugal est abondamment présenté comme un succès dans le combat contre la pandémie de Covid-19. Je ne suis pas là pour contester cette idée mais plutôt pour expliquer, d’une part, ce qui a été fait et, d’autre part, quel est notre sentiment par rapport au rôle joué par la communauté internationale et l’Union européenne.

Lors de la rédaction de ce texte, le pays compte un peu plus de 500 morts et 15 000 cas et on observe une tendance à la stabilisation de sa courbe et une baisse significative des nouveaux cas. La différence par rapport à l’Espagne, l’Italie ou la France est très claire même s’il faut prendre en compte la démographie moins importante au Portugal : un peu plus de 10 millions d’habitants. Même si on fait une comparaison en valeur relative, les chiffres portugais sont bien inférieurs à ceux des pays voisins. Ceci est d’autant plus impressionnant si on prend en compte que le niveau de développement, exprimé en termes de PIB par habitant, est inférieur à la moyenne européenne, 23 000 € contre 30 200 €. De plus, la population du Portugal est très âgée, segment d’âge, pour une grande partie, hébergé dans des maisons de repos d’institutions religieuses ou privées, ne disposant pas forcément des équipements de protection nécessaires pour les soignants et les résidents. De fait, un décès sur huit lié au Covid-19 est intervenu dans les foyers de soins.


Il convient de rappeler que la crise économique de 2008 a frappé le Portugal d’une manière particulièrement violente, entraînant la mise en œuvre de politiques économiques d’austérité. Si ces politiques ont conduit à une forte réduction des salaires et à une augmentation drastique du chômage, elles ont aussi affecté le secteur public, conduisant à des baisses d’investissements et des privatisations douteuses qui, à terme, ont eu un impact sur la qualité même des services publics. Cette période s’est également traduite par une perte importante en capital humain, induisant un exode économique de centaine de milliers de jeunes qualifiés. Ce brain drain a été particulièrement notable dans le secteur de la santé où médecins et infirmiers récemment diplômés ont quitté le pays ; dans les cas les plus extrêmes, les salaires des infirmiers portugais avaient atteint 6€/h. Pour l’anecdote, l’infirmier à qui le Premier ministre britannique, Boris Johnson, a rendu hommage lors de sa sortie de l’hôpital est portugais ! Aujourd’hui, la diaspora portugaise compte environ 5 millions de personnes. C’est d’ailleurs, un retour de ces personnes pour les vacances de Pâques qui fait craindre une deuxième vague de l’épidémie.
À cela s’ajoute le fait que récemment le pays a dû affronter à plusieurs reprises de vastes incendies, dont le coût en termes tant humain que financier a été dramatiquement élevé. De plus, le Portugal n’avait presque aucune expérience récente dans la gestion des problèmes sanitaires, la plupart des principaux défis de santé publique des deux dernières décennies ayant épargné le pays.

L’élément décisif dans la gestion de l’épidémie a sûrement été la détermination de l’intervention publique et, surtout, le timing où celle-ci a débuté, alors que d’autres pays hésitaient sur les procédures à mettre en place. De plus, malgré les désinvestissements successifs, le Service National de Santé – créé après la révolution de 1974 – est composé de professionnels d’excellence, qui ont été prêts à coordonner une intervention générale de l’ensemble des services médicaux.
Très impressionnante aussi a été la mobilisation de la société qui a suivi les indications des autorités publiques et qui a largement accordé sa confiance au pouvoir politique. Dans le même temps, en grande majorité, l’opposition au gouvernement minoritaire d’Antonio Costa n’a pas mis son veto aux principales décisions prises par le gouvernement.

Les premiers cas confirmés étaient pour la plupart des vacanciers en provenance d’Italie, ce qui a permis d’identifier plus facilement leur parcours et de les confiner aussitôt avec les personnes qu’ils avaient côtoyé. La deuxième étape de la propagation du virus a vu le jour au nord du pays, où sont localisées les industries collaborant avec celles du nord de l’Italie.
Malgré le manque d’équipement disponible, les tests ont débuté rapidement (à titre de comparaison, le Portugal réalise 9,8 tests pour 1000 habitants, l’Espagne 7,6, la France 3,3, l’Italie 12,5) tout comme la préparation des hôpitaux et centres médicaux pour faire face à une situation dans laquelle il a fallu recourir aux forces de police, à l’armée et à tous les volontaires, particulièrement aux médecins et infirmiers en retraite.

Le 18 mars, le gouvernement a annoncé un confinement autogéré et autorégulé, avec des limitations partielles pour les personnes de plus de 70 ans. La déclaration de l’État d’urgence au même moment a renforcé l’application de toutes ces mesures. Les aéroports ont été fermés, la frontière avec l’Espagne placée sous contrôle, une interdiction de sortir de sa commune a également été mise en place. 35 000 gendarmes et policiers ont été mobilisés pour imposer les mesures de quarantaine. Le confinement a été prolongé 2 plusieurs fois et pourrait perdurer jusqu’au 1er mai.

Vu du Portugal, ce qui a semblé très frappant, dans un premier temps, a été la fragilité des organisations internationales et surtout de l’OMS, ainsi que la réaction de certains dirigeants de quelques pays qui semblaient sous-estimer la gravité de la situation. Au Portugal, où les autorités ont réagi particulièrement vite, on a ressenti une sensation de ésorganisation et d’hésitation.

Quant à l’Union européenne, on ressent hélas que rien n’a fonctionné comme on aurait été en droit de l’attendre. Ce qui a manqué à l’Europe, c’est une coordination des réponses concernant tant les mesures sanitaires que les achats de matériel, et la coordination des industries. Assurer un approvisionnement à prix compétitifs dans des quantités suffisantes, sur des marchés soudainement très concurrentiels, aurait été extrêmement important.

La pandémie engendre de terribles problèmes économiques déjà très visibles sur le plan du chômage et de la fermeture d’entreprises, d’hôtels, de restaurants. Les premières estimations pour le premier semestre, à l’image de l’ensemble de la planète, indiquent une forte chute du PIB et on peut prévoir une récession économique exceptionnellement accablante. Le Portugal sera particulièrement touché par la baisse du tourisme – selon les dernières données officielles, le secteur du tourisme a contribué à hauteur de 14,6% au PIB en 2018.

Dans ce contexte, un programme sur le modèle du Plan Marshall pour l’Europe semble absolument nécessaire. L’Union européenne a les moyens nécessaires. Après tout, les Traités fondateurs pointent dans le sens que l’Union se construit sur des objectifs de solidarité et bien-être des peuples de ses États membres.

On ressent que, paradoxalement, quelques- uns de ces pays, qui se trouvent parmi les grands bénéficiaires du marché unique, continuent à refuser de prendre des mesures exceptionnelles qui seraient nécessaires pour que l’Europe puisse maintenir son niveau de vie et son rôle prépondérant dans le monde. Les mesures issues de la réunion de l’Eurogroupe et présentées comme un accord acceptable, ainsi que la promesse d’une conditionnalité très assouplie, ne représentent désormais pas assez.

Vu du Portugal, la réponse, sous-entendant que la mutualisation de la dette est toujours hors de question, est un pas trop timide. Il faut dire que cela s’ajoute au souvenir que la plupart des Portugais gardent de la gestion de la crise économique de 2008 un goût plutôt amer.

Eduardo Paz Ferreira est professeur à la faculté de droit de l’université de Lisbonne, dont il préside l’Institut européen. Il est également président de l’Institut de droit économique, financier et fiscal (IDEFF).

Fondation Robert Schuman